Carnet I de Mme Cappelle Louise née Denis pendant la guerre
                     de 1914-1918 .               

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Dimanche 26 Juillet 1914 Jean lisant le journal m'apprend que les rapports sont tendus entre la Serbie et l'Autriche. Par les complications que cet état de choses peut amener une guerre européenne est possible, dit-on.
Cette nuit le tocsin retentit bruyamment et longuement. Je n'ai qu'une pensée :
" La guerre est déclarée".
Ce n'est que la mobilisation, plusieurs classes sont rappelées. La ville reste en effervescence toute la nuit.
2 Aoüt Mobilisation française. Paul est rappelé sous les armes. Nos cousins Xavier, Jules, François, Armant, Eugène partent aussi rejoindre leurs régiments.
Vendredit 28 Août Arrivée à Menin de 4000 volontaires belges sous les ordres du Général de Gamblines qui loge chez mes beaux parents. Arrivée de 25 cuirassiers français.
Samedi 29 Aoüt Les troupes allemandes s'avancent en Belgique. Je vais aujourd'hui à Lille pour m'entendre avec Maman et Madeleine au sujet d'un départ que nous avions projeté pour la Normandie.
Arrivée rue Macquart, je trouve porte close. Maman et Madeleine prises de panique ont quitté la ville ce matin.
Au retour, Jean m'apprend qu'un grand émoi règne à Menin, on craint l'arrivée de patrouilles allemandes.
Les Français font sauter les passerelles (Craigue). Le Général craignant pour ses troupes encore non exercées leur donne l'ordre de quitter Menin pour les mettre à l'arbri.
Dimanche Les paniques succèdent aux paniques. Nous préparons des paquets en cas de fuite précipitée car des patrouilles allemandes sont signalées aux environs
Les volontaires reviennent.
Cette après midi, trois cuirassiers français débouchent sur la place de la rue de Cambrai. Les volontaires trompés par leurs casques les prennent pour des ennemis et les mettent en joue.
On s'aperçoit heureusement à temps de la méprise mais Me Vanalaer qui assistait à l'affaire tombe mort subitement foudroyé par sa maladie de coeur.
On demande des autos pour renforcer les patrouilles . Albert offre la sienne.
Pendant la nuit, les volontaires (nos trop novices défenseurs) tirent par erreur sur leurs propres hommes en tuant trois et en blessant plusieurs.
Maman et Madeleine nous adressent d'Hazebrouck un télégramme nous invitant à les rejoindre
Que faire ?
Nous ne savons nous décider à abandonner la maison. Nous restons.
Lundi Départ définitif cette fois de nos volontaires
Jeudi 3 Septembre Passage de mobilisés français venant prendre le train pour Dunkerque.
Jean appelé à Londres pour ses affaires part aujourd'hui pour plusieurs jours , or les mines flottantes sont pour les navires un danger terrible et constant .
Je tremble pour mon voyageur .
Reçu ce soir un télégramme daté de Folkestone :" arrivé à bon port."
Tant mieux.
Maman Denis que Jean a ramenée à Lille où elle se trouvait isolée me tient fidèle compagnie pendant l'absence de mon mari.
Dimanche Retour de Jean après un heureux voyage.
Vendredi 11 Septembre Patrouilles allemandes signalées à Riehen Verwelghem au canon.
Rencontres avec les gendarmes et les volontaires.
Un officier allemand blessé meurt à l'ambulance des Pères franciscains. Gendarme blessé.
Dimanche 4 Octobre Aujourd'hui pendant la procession de pénitence à laquelle nous assistons, Jean, les enfants et moi, une patrouille allemande débouche à l'entrée de la rue de Lille. La foule prise de panique ( de si terribles bruits courent sur ces Allemands ) s'enfuit de tous côtés.
Les soldats s'avancent de quelques mètres dans la rue puis rebroussent chemin.
Lundi 5 Octobre Vers cinq heures de l'après midi, seconde patrouille.
Pendant la nuit, 27 lourds camions automobiles et deux voitures s'arrêtent dans la rue de Lille et retournent d'où elles sont venues.
Mardi 6 Octobre Nouvelle patrouille qui sonne chez Monsieur Pardoen, bourgmestre, annonce l'arrivée d'une nombreuse troupe et demande de la nourriture.
Patrouilles jour et nuit.
Les Allemands gardent les ponts, font sauter les rails ou chemin de fer, détruisent les téléphones
Mercredi Passage des troupes annoncées.
Ont défilé aujourd'hui par les rues de la ville de 8h du matin à 3h et 1/2 :
17250 hommes presque tous à cheval
   859 chariots
     26 ponts
     49 voitures
     41 camions automobiles
     75 autos
     29 cuisines ambulantes
      7 postes de télégraphie
     30 canons
     50 mitrailleuses
     15 voitures de la Croix rouge
      2 Motocyclettes
     16 chiens et 4 vaches
Tous les Méninois rergardaient curieusement, nous comme les autres, de là cette nomenclature où rien ne manque.
Plusieurs voitures de fermiers belges faisaient partie de la troupe, le fermier obligé de conduire lui même ses chevaux.
Jeudi 8 On entend gronder le canon toute la journée du côté du mont Kemmel.
4 aéroplanes.
Samedi 10 Octobre 1914 Passage d'une soixantaine de blessés allemands avec camions automobiles..
Dimanche 11 Octobre On entend gronder fortement le canon du côté de lille.
Des incendies sont aperçus.
Ce serait le bombardement de la ville où Maman et Madeleine de retour depuis quelques semaines sont enfermées.
A 8 heures du matin, la garde civique convoquée part pour Ingelsmunster . Henri nous fait ses adieux.
Dans l'après midi contre ordre , les mobilisés reviennent et ... n'en sont pas fâchés
On s'amuse en ville de leur courte équipée.
Lundi 12 Le canon gronde toute la journée.
Passage d'une importante patrouille cycliste belge suivie à dix minutes près de deux automobiles allemandes.
Je tremble pour les nôtres.
Bientôt après, ils reviennent sains et saufs.
Mardi 15 Passage de mitrailleuses belges et anglaises . Le canon tonne.
La situation est critique car les patrouilles anglaises et allemandes traversent alternativement la ville.
Jean ne veut plus que les enfants quittent la maison car à tout instant une escarmouche peut éclater dans la rue.
Vers 9 heures, nous voyons passer des Anglais en auto mitrailleuses. Ils rencontrent une patrouille ennemie au Gravier de Bousbecques. 9 allemands sont mis hors de combat. Les mitrailleuses reviennent avec des trophées et des blessés.
A trois heures, sortant de la conférence de St Vincent de Paul, nous rencontrons des cavaliers anglais qui fuient au galop à une allure effrénée et effrayante.
Mercredi 14 Octobre 1914 Pendant le dîner, le tram passe sous nos fenêtres littéralement comblé d'Allemands qui, le fusil en mains, sont prêts à faire feu.
Ils avancent avec précaution, s'arrêtent en face de chez nous puis repartent.
Occupation allemande.
L'ennemi prend aujourd'hui possession de la ville. Il s'empare de 20 otages dont mon beau père et les enferme à l'Hôtel de ville, les menaçant à tout propos de la peine de mort.
Les fenêtres des maisons doivent être éclairées la nuit, les soldats logent chez les habitants. Toute la soirée nous craignons de les voir arriver. Je tremble au moindre bruit, heureusement personne n'arrive.
Jeudi 15 Jean est pris comme otage pendant 18 heures.
Les Allemands exigent des hommes pour creuser des tranchées. Aphonse et Henri sont concernés, puis rentrent peu après.
Réquisition des fusils, motos, vélos, autos, etc..
Vendredi 16 Jean est libéré à 5 heures.
La fournée d'otages dont il faisait partie a pris gaillardement les choses.
On a joué aux cartes, bu et mangé gaiement.
L'automobile d'Albert et la motocyclette de Jean sont prises.
Les All. réquisitionnent vivres, cigares et toutes sortes de choses . Leur drapeau flotte sur le beffroi dont les pendules marquent l'heure allemande.
On parle d'un impôt de guerre.
Samedi 17 Octobre Un fil électrique est placé devant nos fenêtres . Défense de le couper sous peine de mort et incendie de la ville, disent les affiches allemandes.
La plupart des chevaux de la ville sont réquisitionnés par les Allemands , les voitures aussi.
Le Prince de Wurtemberg loge chez Me Nuylstèhe. C'est un catholique pratiquant qui chaque jour à l'église édifie les Meninois.
Dimanche Henri est pris comme otage.
On annonce le départ des Allemands, puis contre ordre.
Dans la nuit, se produit un grand mouvement de troupes. Les allemands enlèvent le drapeau du beffroi et le fil téléphonique placé devant chez nous.
Petit Piere, fils d'Albert et de Flore, un bébé de 18 mois meurt ce matin d'une bronchite. Vu les circonstances actuelles, on l'enterre le soir même.
Lundi 19 Octobre Arrivée de nouvelles troupes
Un impôt de guerre de 1000 frs est imposé à la ville qui doit le payer aujourd'hui avant 5 heures du soir.
Combat contre les Anglais au Kesselberg à 2 heures d'ici. Le canon tonne. On entend les fusillades de la ville, plusieurs fermes brûlent . Ce soir, les camions passent, transportant les blessés allemands.
200 frs d'essence sont pris à l'usine Latour.
2 soldats demandent du logement.
Jean réussit à les éconduire.
Mardi 20 Octobre Les allemands quittent l'hôtel de ville, libérant les otages, par le fait même.
Deux régiments arrivent ce soir pour loger. Deux soldats viennent encore chercher quartier chez nous, sans y réussir davantage.
Les oeufs frais, la viande se font rares, la levure pour le pain aussi.
Mercredi 21 Octobre 1914 Combat qui doit être violent dans la direction d'Ypres, au Koelberg, à 6 km de Menin dit-on. On entend fortement le canon, les fusils et les mitrailleuses. Les blessés arrivent dans les camions.
Le prince de Schoenbourg Lippe loge chez mes beaux parents.
A 11 heures du soir, terrible canonnade qui nous remplit d'effroi. Départ précipité du prince et de sa suite qui jugent la place trop dangereuse.
Les Allemands prennent trois otages.
Jeudi Le combat garde une grande intensité.
Arrivée de 275 blessés
Le soir, le prince est de retour. Nous préparons nos caves et nos vivres en cas de bombardement.
Jean visite les blessés anglais à l'hôopital et sert d'interprète au docteur Kaverschot.
Vendredi Le canon gronde jour et nuit avec en général une plus grande intensité vers le soir.
A deux reprises, on est venu demander un logement pour un capitaine et un lieutenant. Comme nous n'avons qu'une pièce disponible, personne ne vient .
Samedi 24 Octobre Les réquisitions en produits de toutes sortes s'accumulent chaque jour. La ville sera ruinée.
Jean qui s'est pris d'affection pour les blessés anglais les visite tous les jours apportant chaque fois une nouvelle gâterie. Aujourd'hui, Guite et Jean Marie l'accompagnent chargés de poires et de raisins.
Dimanche Le combat continue. Les blessés arrivent au collège ou bien sont évaucés sur des ambulances moins encombrées. On entend le crépitement des fusils et des mitrailleuses .
Nous apercevons le feu des canons.
Les Allemands ont installé 4 bouches à feu à 3 ou 4 km d'ici. La maison , les vitres tremblent . Les trams passent remplis de blessés.
Je visite avec Jean les Anglais à l'hôpital. L'un d'eux amputé des deux bras a trouvé moyen grâce à un petit appareil en fil de fer adapté au bout de bras qui lui reste de fumer encore des cigarettes.
Une bombe tombée d'un avion atteint l'usine Vandergirhele.
Mercredi 28 Ce matin on tire sur un aéroplane, aperçu près de chez nous.
Les troupes qui séjournaient ici décimées par l'ennemi quittent la ville et sont remplacées par d'autres.
Convoi de chevaux sans cavaliers. Tout le combat aurait dit-on été mené jusque maintenant par la cavalerie.
Interdiction de sortir de la ville sans laisser-passer. Des tranchées garnies de sacs de terre sont creusées au pont de la Lys dans notre rue.
Jeudi 29 Les réquisitions continuent ruineuses pour la ville. Les épiceries patisseries se dégarnissent rapidement. Les soldats assiègent les magasins mais les commerçants peu soucieux de servir ces clients qui les paient par un bon quelconque ferment prudemment leurs boutiques. De simples et innocents pots de fleurs remplacent avec à propos les trop alléchants étalages.
On place des fils téléphoniques dans la rue.
Vendredi Ce matin grand passage de cavalerie artillerie munitions se dirigeant en partie vers Courtrai.
On enlève le téléphone..
Dimanche 1er Novembre Le combat continue. Canon.
Plusieurs bombes jetées d'un aéroplane tombent chaussée de Gheluwe, l'une à 15 mètres environ de Jean qui l'échappe belle .
De nombreux avions survolent la ville. On parle de 4000 Allemands mis hors de combat.
Jeudi 5 novembre Les allemands organisent une cérémonie religieuse à l'église. Messe commémorative générale de 500 hommes environ
Je ne sais si, ici, la confession avait précédé la communion mais les Allemands ont eu, entre d'autres cas, une singulière façon d'agir. Sans entendre l'aveu des fautes, un prêtre du haut de la chaire donne une absolution générale pour toute l'assistance qui s'approche de la Sainte Table.
Cette façon de faire est vivement blamée du clergé de chez nous.
Pour la 1ère fois, un officier allemand loge à la maison. C'est le Lieutenant Fritz Kramer.
Vers minuit, nous entendons du côté de la ligne de combat le bruit bien connu du canon , des fusils et des mitrailleuses mais violemment cette fois.
Samedi 7 novembre Les Allemands perquisitionnent dans les maisons pour y trouver des armes qui s'y cacheraient.
On craint les réquisitions de vin chez les particuliers, les marchands de vin ayant dû tout livrer.
Nous mangeons du pain bis depuis plus de huit jours.
Dimanche 8 novembre L'officier allemand quitte la maison ce matin.
Arrivée de nombreuses troupes vers 10 heures, si nombreuses que malgré les protestations de Jean qui se démène tant qu'il peut. 8 fantassins prennent quartier dans la salle d'enfants et la chambre avoisinante. Ils se comportent convenablement, néanmoins nous ne dormons guère de toute la nuit.
La garde impériale est annoncée pour demain.
Le tram passe plein de blessés.
Lundi Nos fantassins partent ce matin.
Grand passage de troupes.
Un général loge chez Papa. Le drapeau allemand y est arboré.
Mardi 10 novembre Forts grondements de canon.
On exige des hommes pour les travaux allemands.
Le pain fait presque complètement défaut à Menin . Nous devons nous en procurer à Halluin.
Mercredi 11 Novembre 1914 Nous vivons au son du canon.
Le combat est paraît-il très violent, très meurtrier de l'aveu des Allemands eux-mêmes.
4 fils téléphoniques sont posés devant nos fenêtres si bas qu'on les décroche en ouvrant les volets.
Jeudi 12 Novembre 1914 Un des fantassins de dimanche trouvant sans doute la maison bonne vient y prendre gîte pour la nuit.
Vendredi Deux nouveaux logeurs du dimanche .
Samedi 14 Novembre Rentrant ce soir vers 6 heures, je trouve Jean en conversation animée avec deux officiers. Ils exigent deux chambres à coucher or il n'y en a qu'une de disponible. La discussion se hausse à un tel degré que le Commandant nous menace, si nous n'accédons pas à ses désirs, d'installer 50 hommes sur la paille dans la salle à manger .
On parlemente. En fin de compte, nous accordons les deux logements. Jean Marie cèdera son lit et couchera sur une chaise longue. En dédommagement, le Commandant installera ailleurs la cuisine et le cuisinier qu'il nous destinait.
Il demande toutefois à prendre ses repas seul chez nous, se contentant de notre ordinaire et payant sa pension.
Cet officier un peu vif est, somme toute, assez sympathique : " Que voulez vous, dit-il , en manière d'excuse, il faut bien forcer les portes !"
Marié, père de deux enfants, il était consul d'Allemagne à Barcelone et possesseur d'une belle fortune nous dit son compagnon. Celui-ci, une sorte de géant comme son chef, se nomme Waldemar Buttner. C'est un docteur. Il appartient au 12ème reg de dragons 4ème escadron.
Dimanche Les Allemands prennent trois otages
Lundi Réquisition de couvertures à domicile .
Grâce à nos logeurs, nous sommes dispensés d'en livrer.
Les Allemands exigent des hommes pour enterrer les morts au champ de bataille. Ils émettent pour 20 000 frs de billets au nom de la ville, billets servant à payer leurs soldats qui se hâtent de les dépenser dans les magasins au grand mécontentement des commerçants.
Mardi Le Commandant Plehn reçoit à souper quelques amis. Il félicite chaque jour la cuisinière de son talent et goûte beaucoup notre vin, ce qui ne me rassure qu'à moitié.
Mercredi 18 Cérémonie religieuse.
Réquisition de 24 chevaux et 6 camions ou 10 000 frs en espèce au choix.
Samedi Le commandant nous annonce son départ pour demain. " Quel dommage dit-il avec malice , je ne pourrai pas vider votre cave ".
Malgré les libéralités dont il la gratifie, la domesticité est enchantée de l'évènement car notre hôte s'y entend à mettre une maison en l'air, réclamant à tout propos les services de chacun. C'est ainsi qu'aujourd'hui pour la préparation des bagages, tous les corps de métier défilent chez nous : peintre, sellier, serrurier, etc.
Dimanche 22 Novembre Passages de troupes durant la nuit .
Cérémonie religieuse.
Départ des officiers qui nous laissent en remerciement de leur séjour une grande boîte de petites saucisses excellentes, une petite provision de thé, sucre, etc.
Lundi Deux officiers se présentent pour occuper les chambres. Quatre mangent dans la petite salle à manger. Georgine cuisine, l'ordonnance sert à table.
Le soir tout le monde nous quitte à l'exception du Pasteur protestant Haldhémar Baumann qui logera et prendra ses repas chez nous.
Le canon et les mitrailleuses du champ de bataille continuent à nous bercer de leur imposant fracas.
Jeudi 26 Novembre Le parc d'aviation allemand est transporté au hameau du Coucou avec prairies bordant la Lys. donc en arrière !.
Samedi 28 Terrible canonnade durant la nuit .
L'alarme est donnée aux troupes allemandes . Les habitants des maisons avoisinantes se réfugient dans les caves.
Les billets émis sur l'ordre de réquisition allemand atteignent déja une valeur de 260 000 frs.
Dimanche 29 novembre Un mot au sujet du pasteur. il est marié et parle volontiers de son "épouse", ce qui plonge les bonnes dans des abîmes de stupéfaction.
Pour achever leur édification, Paul l'ordonnance apporte un beau jour à la cuisine les objets nécessaires au culte religieux car on prépare un service. Il passe les hosties sur la table et demande un essuie-mains pour essuyer le calice.
"Non, non dit-il, , un sale est suffisant . h'is de krieg! "
Voila qui est loin de nos respects catholiques.
Cependant je vous avoue que le pasteur me semble un brave homme et même sincèrement religieux... à sa façon.
Dimanche 6 Décembre 1914 Le prince Eitel- Frédéric, second fils du Kaiser dine ce soir chez mes beaux-parents à la table du général.
Tirs contre un avion anglais..
Lundi 7 Décembre Violents coups de canon durant la nuit.
Jean muni d'un laisser-passer part aujourd'hui pour Lille. Il revoit Maman et Madeleine, Papa ayant quitté Lille avant l'arrivée des troupes allemandes.
Mardi Passage de troupes, direction d'Halluin.
Avec quel intérêt on épie ces mouvements perpétuels de l'armée allemande croyant y découvrir ( hélas quelle illusion!) des indices de départ !
Un sous officier et deux soldats viennent faire l'inventaire de notre cave à vin. Ils trouvent 250 bouteilles , le reste ayant été..... escamoté et mis à l'abri.
Mercredi 9 Réquisition de vin chez Mme Lannoy.
Vendredi Passage de 60 prisonniers français dont plusieurs zouaves.
Samedi 12 Les blessés sont évacués au collège.
Dimanche Nouveaux blessés à l'hôpital.
70 prisonniers français.
Pourvus d'un passe-port, nous partons Jean et moi pour Lille. Le voyage se fait moitié à pied et moitié en tram ce qui vu mon état me fatigue extrêmement. Mais aussi quel bonheur de revoir Maman et Madeleine. Quelles bonnes causeries !. Maman me raconte leur vie pendant le bombardement, leur fuite sous les bombes, leur séjour dans les caves chez M et Mme Heyyndriche, puis l'entrée des troupes allemandes, l'incendie de la ville . La belle conduite du Commandant Pradien qui avec 2400 hommes tint tête pendant (blanc) heures à la formidable armée assiégeante, roulant d'une porte à l'autre ses quatre malheureuses pièces de canon pour donner l'illusion d'une plus forte artillerie.
Fait prisonnier par l'ennemi, il lui échappe le lendemain..
Lundi 14 Décembre Ce matin grand combat d'artillerie
Alarme chez les Allemands
On emporte les bagages du pasteur, on emballe ceux du Général puis... contre-ordre et pour nous .. déception !
On dit que les Allemands creusent des tranchées porte d'Ypres.
Mercredi Les Français prennent, dit-on, l'offensive.
Le pain devenant rare et cher et par dessus tout détestable, noir et gluant, il adhère au couteau, nous achetons de la farine pour le faire à la maison.
On ne délivrera plus de passe-port disent les affiches allemandes sauf pour les commerçants en denrées alimentaires.
Ces affiches allemandes !
Elles pullulent en ville ! Les murs sont couverts de ces feuillets blancs portant les "Ordre ou Befehl ou Betel " de la Commandanture.
Vendredi 18 Décembre Marcel Lannoy s'étant servi d'une lanterne de couleur pour s'éclairer dans la cour est soupconné de faire des signaux . Il est retenu prisonnier chez lui ainsi que sa mère..
Dimanche 20 Les Allemands perquisitionnent dans nos maisons pour y trouver les fusils cachés et les pigeons voyageurs.
On vient prendre la liste du nombre de lits et d'habitants pour chaque maison.
Lundi Réquisitions des appareils téléphoniques publics et privés.
Des visites domiciliaires auront lieu pour s'assurer si tous les appareils ont été remis.
Mercredi Pendant la nuit, les allemands envahissent le cloître des Bénédictines.
Prétextant y chercher des choses importantes, ils s'y conduisent de brutale façon , enfonçant des murs, proférant des menaces et effrayant beaucoup de pauvres religieuses.
Départ du pasteur protestant.
Un officier passe la nuit chez nous. Il part le matin mais annonce son retour demain.
Arrivée chez mes beaux parents de trois officiers du 202. Attachés à la personne d'un officier supérieur, ils viennent préparer le logement pour leur chef et eux-mêmes.
Pleins d'arrogance et de morgue, ils se font ouvrir toutes les portes afin de faire un choix et s'adressent à ma belle-mère sur un ton rien moins que poli..
24 Décembre Les officiers du 202 se préparent à fêter la Noël et exigent des nappes, réclament le piano et font des menaces ! Voilà qui nous promet de belles séances !
25 Décembre Fête de Noël ! célébrée avec éclat par les Allemands. L'église Saint Vaast, est ornée à profusion de guirlandes et de drapeaux . D'immenses sapins occupent le choeur dont l'autel est complètement caché.
Du beau petit Jésus dans sa crèche, il n'est même pas question.
Il va sans dire que la bouche et l'estomac ont une large part dans la fête. Une part allemande.
Samedi Un nouvel officier loge à la maison, son ordonnance dans la salle d'enfants.
Mardi 29 Emprisonnement d'Alphonse Vandenberghe. Il ne s'est pas effacé suffisamment pour livrer passage à un officier dans la rue.
Jeudi On vient cinq fois chez nous demander du logement.. Pour finir... personne.
1er Janvier 1915 A minuit les Allemands fêtent le nouvel an par une fusillade bruyante et prolongée à la grande frayeur de la population.
Mrs le Doyen Pardoen et Debunne sont pris comme otage.
Dimanche 3 Janvier Un officier allemand vient s'installer à la maison pour 6 jours.
Lundi 4 Janvier Arrivée de nombreuses troupes en ville pour tenter, dit-on, un nouvel assaut vers Ypres. Les couvents du Cenacle et des Bénédictines sont occupés en grande partie par les Allemands.
Mardi Réquisition d'une nappe chez Papa, de deux serviettes chez nous.
Un ordre est affiché enjoignant aux civils de laisser le pas aux militaires dans la rue.
La farine fait presque défaut et le canon sans cesse gronde au champ de bataille avec à certains jours une effrayante recrudescence?
Dimanche Départ à 2 heures du matin du lieutenant Hans Schmidt 80ème. Hier soir, il était venu lui-même annoncer son départ et nous remercier de son logement. A signaler car le fait est rare.
Lundi 11 Concert allemand chez Papa. La musique du 202 s'installe dans le jardin et dans la véranda et la maison entière s'emplit de mélodies allemandes.
20000 soldats logent en ville et aux alentours.
Un ballon captif monté par 2 officiers est emporté par le vent.
Jeudi 14 Arrivée d'un lieutenant du 136ème.
Grâce aux mouvements de troupes qui d'ici vont et reviennent aux tranchées , la ville est remplie de .... vermine.
On lève à Halluin un impôt de guerre de 45 000 francs payables en argent liquide.
Vendredi Enlèvement du vin chez mes beaux parents : 450 bouteilles.
Tous les propriétaires de chevaux doivent les amener aux Allemands..
Vendredi Un ordre est affiché interdisant aux civils de colporter des faits de guerre.
Mercredi Un officier s'étant présenté chez les demoiselles Ghesquière marchandes de musique pour se faire livrer un violon contre un bon de réquisition, celles-ci refusent... naturellement.
Discussion, dispute, on porte l'affaire à la Commandanture où les plaignantes déclarent "qu'on ne fait pas la guerre avec des violons et que la conduite de l'officier est tout à fait ridicule"
La dessus, émoi, indignation !
" Il n'y a rien de ridicule pour les allemands leur est-il répondu ! "
Emprisonnées !
Départ du Lieutenant du 136ème.
Jeudi 21 janvier Les officiers du 202 exigent que les pendules de chez mes beaux parents marquent l'heure allemande.
22 Janvier Forte canonnade toute la nuit. Bruits de fusils mitrailleuses
Grand dîner en musique chez Papa.
Le clan des officiers s'y est enrichi d'un nouveau specimen supérieur en tous points à tout ce qu'on avait vu.
L'adjudant Von Woentsel, connu de toute la ville pour ses coups de cravaches et coups de pieds dont il est prodigue envers les civils.
Maman s'émotionne quand elle rencontre le regard de ses yeux fulgurants, regard de fou car il a été interné nous a t'on dit et toute la maisonnée se tient à distance respectueuse du personnage. Vous savez pourquoi.
Aujourd'hui estimant que le peignoir de bain dont les officiers se servent fréquemment n'est plus suffisamment propre , il fait dire aux bonnes qu'on doit lui remettre nettoyé pour son bain à cinq heures ou bien ...! ... sous les verrous !
Installation du "Soldatenheim "au couvent du Cénacle.
23 Janvier La naissance de mon bébé est proche. Jean obtient un laisser passer lui permettant d'aller chercher le docteur de garde durant la nuit.
Dimanche 24 Janvier Naissance de Michel à 1heure 1/4 du matin. Un garçon après trois petites filles ! Quelle joie ! Dieu soit loué !
Lundi 25 Janvier Réquisition de vieux poëles, vieilles casseroles, huile, pétrole, essence, pommes de terre.
Jules le domestique en veine de générosité offre encore à l'officier les vieux os et les vieux chiffons..
Mardi Baptême de notre Michel.
Anna est marraine M Schottey est parrain et le gâteau du dîner est garni par le cuisinier du Général qui y inscrit "Michel" en chocolat.
Monsieur Pardoen nous dit que depuis des semaines la ville est occupée par 18 000 hommes.
Mardi 27 Janvier 1915 Aujourd'hui , joyeuse surprise, Maman et Madeleine, averties de la naissance de mon bébé arrivent chez nous pour un temps indéterminé.
L'heureuse réunion!
Tête du Kaiser ; pavoisonnement des rues et des églises. Cérémonies religieuses.
Jean ayant gardé au café son chapeau sur la tête se le voit enlevé par un officier, offusqué de ce manque de respect.
Sans rien dire, Jean replace sur son crâne et avec énergie le malencontreux couvre chef.
Et voici la dernière de notre adjudant :
Son ordonnance fait demander un entretien à mon beau père . Celui-ci qui lisait se lève croyant avoir affaire au soldat et.. se trouve nez à nez avec notre illustre drôle qui... lui applique un soufflet magistral en disant : On ne parle pas un crayon en bouche à un officier allemand.".
Madeleine et Albert indignés par cette scène ne font qu'un bond jusqu'à la commandanture pour y porter plainte. Y donnera-t-on suite ?.
Vendredi 29 Un aéroplane anglais laisse tomber une bombe . Le canon qu'on n'entendait plus depuis plusieurs jours gronde fortement toute la journée..
Mercredi 3 février Violente canonnade. Les alliés prendraient dit-on l'offensive.
Vendredi L'action d'artillerie se poursuit au front, les fenêtres de ma chambre s'ébranlent sous les chocs. De nombreux avions survolent la ville depuis plusieurs jours.
Lundi 15 Les Français auraient pris 2 tranchées vers Comines. Ils tentent paraît-il de percer . Alarme parmi les troupes venant la nuit.
Mardi Les soldats sont consignés.
Mercredi 17 Un sous officier de la Commandanture vient visiter toutes nos chambres à coucher.
Vendredi 19 Violente canonnade vers 7h du matin.
Aujourd'hui, quelle aubaine ! la ville est gratifiée de pain blanc fourni par les Américains.
Les envois de l'Amérique assurant le ravitaillement de la Belgique commencent à nous parvenir. Nous recevons dorénavant des rations de riz, haricots, pois secs, maïs, viande de boeuf et de porc salé, saindoux, etc.etc.
Samedi 20 Alarme chez les Allemands qui préparent leurs bagages.
Dimanche Nous voyons passer cinq prisonniers français mais on n'ose pas les approcher.
Lundi 22 Février Les Allemands annoncent une grande victoire sur les Russes et font sonner toutes les cloches.
Cette sonnerie de nos cloches si longtemps muettes fait une profonde impression sur les Méninois.
Pour célébrer ce succès "kolossal" et qui nous laisse sceptique le général ordonne que le drapeau allemand soit arboré chez mes beaux parents. La maison n'en possédant pas, et pour cause, Anna s'en va bravement en " réquisitionner " un à la Commandanture .
" Enveloppez-le bien, dit-elle, aux soldats car j'aurai honte d'être rencontrée portant vos couleurs ". et ceux ci , amusés de son audace obtempèrent en riant à son désir.
Ce soir retraite aux flambeaux.
Mardi 23 Les rassemblements sur le trottoir sont interdits.
Jeudi Réquisition des marchandises de l'usine Loridan à Halluin.
Vendredi 26 Henri Vercoutre ayant dirigé les ailes de son moulin dans la direction du vent est soupconné de faire des signaux et fait prisonnier .
Dimanche 28 Un avions anglais survole la ville . On tire sur lui. Il tombe entre les mains des Allemands à Comines
Lundi 1er Mars Un nouvel officier loge à la maison.
Le Comité de ravitaillement nous fait remettre les bons pour les pains. 28 bons pour 14 personnes. La ration est de 250 gr par jour et par personne.
Un billet désignant la maison comme " Quartier pour officiers " est placardé à notre porte..
Mercredi 3 Départ du Lieutenant Fritz.
Jeudi 4 Arrivée d'un nouveau logeur : le docteur John.
Pas commode le Dr John !. Ne trouvant pas la chambre à son goût. Il parcourt toute la maison pour faire son choix et jette son dévolu sur la nôtre. Réclamations énergiques de ma part , discussions interminables entre nous et lui et sa bande.
On parvient néanmoins à lui faire abandonner son idée. Il occupera notre petite salle à manger dans laquelle il fait installer le lit de Jean-Marie.
Vendredi A cing heures du matin, vive fusillade qui semble très rapprochée.
L'adjudant Van Woertsel n'est pas content de la cuiller à soupe que Maman abandonne à leur usage. Il lui faut une cuiller en argent et dans sa colère il jette à la volée à travers la veranda le malencontreux objet qui y laisse tout un morceau.
Dimanche 7 Emprisonnement de Jules Chambar, de Clotaire Degryse et de plusieurs autres . On ignore le motif de l'arrestation.
Lundi Madeleine reçoit des nouvelles de Paul insérées dans un journal tombé d'un aéroplane à Lille.
" Paul H.D. en bonne santé à Quimper ".
Mercredi 10 mars Une bombe jetée par un avion tombe à la barrière de la porte de Bruges, tue quatre soldats, 12 civils et blesse plus de 20 personnes.
Jeudi 11 Les prisonniers de dimanche sont relâchés sauf Krimm.
Vendredi Dispute , qui dégénère en bataille, des officiers de chez mes beaux parents. On entend des coups, des plaintes. Jolis Noms !
Samedi 13 mars Enterrement des victimes de la bombe.
Passage de troupes du 203 et du 204 qui venant de Roulers se dirigent, dit-on, vers la France.
Lundi 15 mars Albert et Papa comme membres du comité obtiennent l'autorisation de visiter l'ancien champ de bataille du Koelberg. Ils sont frappés du silence et de la solitude qui y règnent à une si courte distance des tranchées.
Samedi 20 mars Un schrapnell tombe dans un jardin , rue de Bruges.
Lundi 22 mars Vive alerte dans les troupes allemandes .
Ayant usé de gaz asphixiants, les Allemands croient pouvoir entrer dans Ypres . Les régiments partent puis reviennent après un échec.
Mercredi 24 M Pardoen est emprisonné ainsi que le Commissaire de la ville, les Allemands ayant trouvé des munitions à l'Hôtel de Ville.
Jeudi Les prisonniers sont relâchés ayant pu démontrer que les munitions en question avaient été abandonnées ici par d'autres troupes allemandes .
Vendredi Perquisitions chez M Pardoen à St Georges et ailleurs.
Dimanche Grande réception d'officiers chez mes beaux parents, réception précédée d'un nettoyage en règle ; les ordonnances frottent et astiquent les meubles avec énergie.
Deux concerts sont donnés par la musique du 201 dans le jardin.
Cette débauche de musique allemande n'est pas très agréable pour des oreilles belges , pas plus que ces fameuses réunions d'officiers, prétextes à géantes beuveries et dans lesquelles les convives s'enivrent consciensieusement avec le vin de nos caves .
La capacité des estomacs allemands est d'ailleurs , pour tous ici, un sujet d'émerveillement " Ils l'ont double " disent les Méninois. Double , peut-être mais pas indéfiniment élastique et parfois trop chargé, le malheureux se soulage comme cela s'est produit dans le jardin de mes beaux parents et dans la chambre de l'adjudant.
Emprisonnement du directeur de l'usine Michel Jackson. On aurait trouvé du caoutchouc caché.
Lundi Tirs sur un avion qui survole la ville au dessus de nous . Il laisse tomber une bombe destinée au pont ou chemin de fer et qui choit dans la Lys.
Le soir , un ordre très pressé de l'état major est remis au Dr John.
Mardi 30 mars Alerte durant la nuit.
Les troupes , le général et les officiers en quartier chez Maman partent pour Ypres avec armes et bagages. Au matin, tout le monde rentre bredouille et reprend possession de son logement.
Arrestation de Bertha cuisinière de mes beaux-parents accusée de s'être battue !.. avec le cuisinier et les ordonnances du Général...
Cette après-midi, elle est relâchée par le Commandant de la Place
Jeudi 1er Avril Au moment où l'on célèbre la cérémonie du Jeudi-Saint, les Allemands déclarent qu'ils ont besoin de l'église, force est donc de célébrer l'office dans la petite chapelle des soeurs noires.
Profitant du beau temps les aéroplanes survolent presque chaque jour la ville malgré le tir des canons et des mitrailleuses.
Samedi 3 avril Bertha, cuisinière de Maman est à nouveau emprisonnée pour s'être moquée des ordonnances lors de la tentative manquée d'Ypres. ( Entre nous je crois qu'elle leur a adressé un " pied de nez.").
Trois jours de prison.
Maman intercède pour elle près du général qui a signé l'arrêt mais sans succès.
Dimanche 4 avril Jour de Pâques et 1ère communion de notre Guiguite, l'aînée de nos enfants.
Notre chère petite fille s'est approchée pour la première fois de la Ste Table ce matin dans la chapelle du couvent St Georges accompagnée de son Papa et de sa Maman et de ses Grands Parents et de toute une escorte d'oncles, tantes et cousins.
Puis déjeuner chez Bonne Maman et cet après dîner, réunion de famille chez nous, où, autour de la table à thé, les nôtres font honneur aux desserts de guerre.
Jean Marie, Geneviève, Louise ont offert à Guiguite leurs félicitations dans de petits compliments gentiment troussés et l'héroïne de la fête a même chanté son bonheur en quelques strophes si touchantes que je veux en garder ici le souvenir :
" Le doux Jésus en entrant dans mon coeur m'a fait jouir du plus parfait bonheur
en ce beau jour de joie et d'allégresse de mon divin Sauveur, j'ai senti la tendresse.
Béni soit Dieu pour pareille faveur.
Je lui dois tout , je lui donne tout mon coeur.
Que ma prière de sa bonté suprême,
Rende heureux mes Parents tous ceux que mon coeur aime. "
Mercredi Départ du Dr John qui se rend au Lazaret. Arrivée le même jour d'un nouvel officier le lieutenant Westoffen du 201, qui occupe la même salle. Les deux ordonnances couchent sur des couvertures apportées par eux dans la chambre contigüe à la salle d'enfants.
On vient demander combien de lits sont occupés chez nous par des hommes entre 14 et 45 ans.
Rep: Aucun
Jeudi 8 Avril Nous recevons.
Dimanche Un schrapnell lancé contre un avion retombe , éclate tuant un soldat et en blessant deux.
Grand dîner en musique suivi de sauterie chez mes beaux-parents.
Lundi 12 Départ du 171 ème.
Le lieutenant Westoffen tombe malade chez nous, ses ordonnances le soignent. Ces deux ordonnacnes semblent de braves garçons catholiques tous deux mais bien ennuyeux quand même car ils s'installent à demeure dans la cuisine où ils font tout à leur aise leur petit ménage.
Mercredi Grande fête en l'honneur de la visite du roi de Wurtemberg qui dîne chez MMe Lannoy.
Sur la place garnie de plantes vertes et de drapeaux, revue des troupes, pendant laquelle 6 avions allemands survolent la ville à faible hauteur.
Jeudi 15 Alarme durant la nuit.
Départ du 136ème
2 avions allemands sont contraints d'atterrir grâce aux mitrailleuses dont sont munis les appareils des alliés.
Vendredi 16 Les Allemands trouvent des baïonnettes à l'Hôtel de Ville.
Le "lieutenant" Westoffen est guéri.
Samedi La Commandanture fait demander le nom et le nombre de nos logeurs et combien nous possédons de lits.
Elle a la mémoire courte la Commandanture.!
Encore un avion allemand capout !
Les Anglais auraient, dit-on, fait sauter le "Zantberg".
Dimanche Alarme cette nuit.
Notre officier et ses ordonnances doivent se sentir prêts à partir ce soir.
Passage d'un prisonnier belge : Gravier de Bousbecques, prisonnier qui adresse des paroles encourageantes à tous ceux qu'il rencontre malgré les horions que les Allemands lui administrent.
Lundi 19 Vers midi alarme.
Départ précipité du lieutenant et de ses ordonnances Frans et Karl. Nous supposons qu'ils se rendent au front car le malheureux Karl rouge et agité semble fort triste.
Nos logeurs partis nous déménageons notre salle à manger..
Mardi 20 Visite de Ch. Dewitte qui arrive de Hollande
Nous achetons 1/4 de porc pour le saler.
Entre 8 et 10 heures du soir nous entendons une vive fusillade et canonnade. Le ciel est tout éclairé par le feu des canons et des mitrailleuses .
Mercredi 21 Un Allemand parlant de l'attaque d'hier dit que les charges à la baïonnette ont commencé vers 5 heures de l'après midi et que si les Anglais avaient voulu, ils auraient pu entrer en ville.
Chaque jour des avions alliés survolent la ville malgré les schrapnells qui éclatent autour d'eux.
Vendredi 23 Grand évènement en ville !
Alarme vers 11heures du matin. Départ de toute la 201ème.Quittent donc la maison de mes beaux parents : le général Van Porvel, le lieutenant von....., l'adjudant von Wentzel, le pasteur Voelcke, le cuisinier et ses aides , les ordonnances , toute la smala, enfin.!
Aussitôt leur départ, nous procédons à un nettoyage plus que nécessaire. La cuisine surtout est à signaler. Quel dommage que la photographie ne puisse pas rendre les effets de graisse dont sont enduits les meubles , le poële, la table ! etc.
Des casseroles , des boîtes de conserves éventrées et à moitié vides gisent dans tous les coins.
A noter que cette perle des maîtres coqs nettoyait sommairement sa batterie de cuisine en l'essuyant à l'aide d'un vieux caleçon et que les vers vivaient en paix dans les ustensiles à hacher la viande.
Pour la première fois, la porte d'entrée ouverte depuis des mois et où depuis des mois veillait une sentinelle est enfin fermée. Il n'y a presque plus de troupes en ville. Vont elles revenir ?
Grave question !
Les Allemands annoncent une avance du côté de Langermark grâce aux gaz asphyxiants.
Samedi Jean obtient à la Commandanture d'Halluin un laisser-passer valable plusieurs jours et renouvelable ; grâce auquel il espère pouvoir faire quelques affaires et gagner une pièce d'argent bien nécessaire.
La Commandanture d'Halluin est assez accommodante mais la nôtre est un modèle du genre.
La plupart du temps le pauvre quémandeur est remis à plus tard, souvent il n'obtient rien, souvent aussi il est expédié en bonne forme par un "raus "!!. des plus énergiques.
Comme salle d'attente : le trottoir sous l'abri précaire d'une marquise, vraie trouvaille pour les courants d'air.
Quoi d'étonnant dès lors que l'Orts Commandant ait reçu des Meninois le beau titre "d'Ours commandant"..
Dimanche Un Hauptmann du 171ème vient loger chez nous.
Lundi Il quitte la maison, un officier de hussards le remplace.
Mardi Un sous officier de la Kommandanture vient nous faire une scène en règle pour nous obliger à installer la chambre des Allemands dans la salle à manger. Il menace Jean, s'il résiste, d'un emprisonnement en Allemagne .
Rien que cela !.
Vendredi 30 avril Depuis hier forte canonnade qui ébranle nos maisons.
Des affiches de la Commandanture prescrivent des mesures d'hygiène pour enrayer une épidémie de typhoïde menaçante.
Samedi 1er mai 1915 On annonce le départ d'Oether. Un nouveau commandant de Place vient se loger chez Papa. C'est le Schmidt du 172ème.
Dimanche 2 mai Un officier interrogé au sujet de l'action d'artillerie de ces jours derniers dit que l'on se bat autour de la hauteur 60, prise dernièrement par les alliés.
Mardi Un lieutenant vient loger chez nous.
Vendredi 7 mai Une affiche de la Commandanture ordonne aux possesseurs de pigeons de tuer ceux qu'ils possèdent encore et d'apporter les têtes à l'hôtel de ville à 2 heures de l'après-midi.
Cet ordre cause un gros crèvecoeur à Jean colombophile enragé.
On photographie les dépouilles des malheureuses victimes que Jean Marie et Julien arrosent de leurs larmes.
Dimanche 9 mai Arrivée à 8h 1/2 du sous officier Borde.
Depuis quelques jours les ouvriers, certains au moins, refusent de travailler pour l'autorité allemande.
Lundi 10 mai Les blessés arrivent fort nombreux aux ambulances.
Combat entre 2 aéroplanes . L'avion allemand l'aile brisée tombe d'une hauteur de 2000 m, dit-on. C'est le 3ème ou 4ème qui tombe ainsi.
Mardi Départ de Borde, un Allemand poli, trop poli car il cultiverait volontiers la galanterie envers nos bonnes.
Mercredi 12 mai Le fameux lieutenant Reynes connu de toute la ville vient chercher un logement à la maison. La chambre ne lui plaît pas. Tant-mieux, notre lit sera préservé des nombreux arrosages du Lt "Piscandin".
Samedi 15 mai Pourvue d'un laisser passer obtenu à la Commandanture d'Halluin, je vais à Tourcoing voir Maman et Madeleine.
Quelle bonne causerie ! Quelle heureuse journée !
Dimanche Les Allemands déchirent les passeports des personnes se rendant à Tourcoing. Ils leur délivrent des billets les autorisant à rentrer chez elles.
Mercredi Le Lt Quentin vient loger chez nous et chose rare nous salue.
Jeudi On fait de grandes difficultés au sujet des laisser-passer, nous supposons que cela est dû à d'importants mouvements de troupes.
Vendredi 21 mai M Vanginnehen raconte l'étonnement d'un officier devant le calme de la population à une si courte distance du front. Il dit qu'en Argonne d'où il arrive les gens ont fui sur un plus grand rayon.
Une Allemande Mme Lysenmann vient prendre logement chez mes beaux parents adressée là par la commandanture. Cette madame est la femme d'un officier blessé et soigné au " lazarett". Atteint pendant une attaque à la baïonnette, il est resté 11 heures entre les tranchées adverses sans que l'on puisse lui porter secours.
Samedi Emprisonnement de Prosper Lesaffre et de Jules Dejonghe dont les enfants auraient chanté des chants séditieux entre autres " Connais tu le pays ". Les Allemands y verraient-ils une allusion à l'Italie ?
Dimanche 25 mai La ville est mise en pénitence.
Interdiction de sortir de chez soi depuis 5 heures du soir jusqu'à 7 heures du matin, de mettre le nez à la fenêtre pour inspecter la rue et cela durant huit jours. Des patrouilles circuleront en ville pour assurer la bonne exécution des ordres donnés.
Les motifs invoqués pour justifier de telles mesures sont la découverte de pigeons dans deux maisons de la ville et des chants injurieux pour le Kaiser chantés par les enfants.
Cette après dînée commence notre expiation. Nos rues aux volets clos ont l'air endormies, seuls quelque soldats allemands en promenade les réveillent.
Lundi 24 mai Les Allemands affichent la déclaration de guerre de l'Italie. Plusieurs arrestations ont été opérées hier pour infractions aux ordres de la Kommandantur. M Borre, le vicaire sorti de chez lui 7 minutes avant 7 heures est appréhendé par les soldats allemands. Tout compte fait, il obtient un passe port l'autorisant à sortir à toute heure . A quelque chose malheur est bon.
Nous passons nos soirées chez Maman en usant d'un trou de communication percé dans la cave en cas de bombardement.
On dit que le vrai motif de ces étranges mesures aurait trait à l'espionnage, ce que je croirais volontiers car c'est une véritable épidémie de punitions qui sévit en ce moment sur les villes du front.
Arrestation de Melle Leynard. On prétend qu'elle aurait eu maille à partir avec son ou ses logeurs. Fait des plus banals.
Mardi 25 Pour punir la conduite de "ces mauvaises têtes de Méninois", la punition est prolongée jusqu'au 3 juin.
Bord revient chez nous pour deux jours.
Samedi 29 Encore une affiche relative aux armes cachées. ceux qui les livreront dans un laps de temps désigné ne seront pas punis.
Dimanche 30 26 ouvriers sont fouillés et accusés d'avoir volé du cuivre au champ de bataille. Faits prisonniers.
Lundi 31 mai Les Allemands trouvent chez Benost la motocyclette de Jean que d'autres troupes y avaient laissé ne sachant l'utiliser. Jean sait bien pourquoi ! Il espérait même qu'ils l'abandonneraient. De guerre lasse, Benost est arrêté pour quelques heures.
Mardi 1er juin Pendant le travail des ouvriers, des grenades tombent au milieu d'eux. Plusieurs s'enfuient , l'un d'eux est blessé..
Mercredi 2 juin 150 ouvriers font défaut au moment de reprendre le travail. Le soir on annonce la mort d'un ouvrier au champ de bataille. Le commandant de place leur ordonne de s'abstenir de leur besogne le lendemain !
Jeudi L'ordre concernant les travailleurs est contremandé.
Arrivée à Menin de 250 ouvriers allemands , anciens prisonniers, dit-on.
Samedi 5 Un ss off chez nous pour une nuit.
Lundi Hier et aujourd'hui, de nombreux avions ont survolé la ville.
Mardi 8 juin On raconte que les Allemands auraient dû abandonner 4 tranchées vers Ypres, que les alliés auraient repris le Polygone.
Emprisonnement de Mme Cousinne qui s'est disputée avec des soldats
Vendredi 11 Installation des bureaux de l'intendance chez mes beaux parents. Le capitaine qui les dirige est un ours mal lêché.
Il a pour parler à mon beau père un ton que l'on rougirait d'employer envers un domestique.
Impossibilité d'obtenir des laisser passer , les Allemands redoublent de surveillance pour empêcher les fraudes et empêchent toute circulation. Des gendarmes sont postés dans le tram.
Dimanche 13 On ferme la moitié des estaminets encore ouverts.
L'heure du couvre feu est reculée à 8 heures 1/2.
Lundi Les Allemands arrêtent les ouvriers qui ne veulent pas travailler pour eux.
Mardi Des patrouilles parcourent la ville et arrêtent dix hommes.
La commandanture exige 500 ouvriers pour les tranchées comme ceux ci ne veulent plus travailler, elle les emprisonne.
Mercredi Les Allemands exigent la liste des personnes secourues par le Comité que celui ci refuse de lui donner.
Jeudi 17 Le Général de Werwecq vient loger chez Gratry.
Les Allemands affichent qu'ils ont dû abandonner de ce côté plusieurs tranchées et 24 mitrailleuses.
Cinq trams de blessés sont revenus du champ de bataille.
un officier vient loger à la maison.
Samedi 19 juin Grand passage de troupes.
5000 hommes arrivent durant la nuit venant, dit-on de Zounebeck. vers le matin, ils repartent , les n° des casques sont cachés.
Toute la journée, des troupes passent et repassent.
Certains pensent que cela indique un changement de front et une lueur d'espoir vient un moment éclairer notre vue si triste et si monotone, semblable à une vie de prisonniers.
Dimanche Vers 3 heures du matin, 14 avions alliés survolent la ville se dirigeant vers Courtrai.
Lundi Les personnes arrivent de Bruxelles à Courtrai munies de passe ports doivent retourner presque immédiatement. Le Ct de place de Courtrai s'assure lui-même de la bonne exécution de cet ordre.
Mardi 22 Toute la nuit les Allemands ont embarqué à la gare des hommes et du matériel de guerre.
Ils font couler 2 bateaux qui avaient servi à construire des ponts.
Ils affichent les prix maximum du bétail, des oeufs, etc....
Mercredi On raconte que des prisonniers français passant à Lille ont refusé les vivres que leur offraient les habitants , exprimant ainsi leur mécontentement au sujet du travail des civils pour l'Allemand.
Des billets tombés des avions ont notifié les mêmes blâmes.
Les populations s'émeuvent de ces avis réitérés.
Vendredi 25 juin Les Allemands ont ouvert en ville, cafés , magasins de toutes espèces tenus par leurs compatriotes. les femmes n'y sont pas la fleur de la société d'Outre Rhin.
Les difficultés au sujet des ouvriers travaillant aux tranchées semblent devoir se résoudre, la commandanture annonçant qu'un ordre arrivé de Bruxelles leur interdit de faire continuer le travail. Ce soir , le souvenir public annonce à nouveau un contre ordre.
Samedi 26 Les troupes du 236 en ville depuis Jeudi sont reparties mais le 132 revient du front réduit dit-on à 800 hommes ; le régiment ayant été encerclé une nuit par les Anglais qui avaient coupé les fils électriques.
Nombreuses troupes en ville.
Les ouvriers vont au travail au nombre de 70
Dimanche Les travaux ordonnés par les Allemands pour la canalisation des eaux arrivent devant la maison.
Le maire d'Halluin défend aux patrons et aux ouvriers des usines de travailler pour les Allemands.
Lundi La commandanture devant la résistance que lui opposent les Halluinois menace la ville de peines sévères. On annonce l'arrestation du maire de Lille (est-ce vrai ?) toujours au sujet de cette question de travail.
Mardi Les mesures de répression sont mises en exécution à Halluin
Interdiction d'entrer et de sortir de la ville, otages, indemnités de guerre, défense de circuler dans les rues de 4 heures du soir à 9 heures du matin. Les ouvriers méninois travaillant à Halluin sont convoqués pour se rendre demain à la commandanture.
Mercredi 30 Juin 1915 Le commandant de place convoque le conseil échevinal au sujet de la question ouvrière.
Ceux-ci déclarent qu'ils admettent à la rigueur les travaux d'utilité publique mais non ceux dirigés contre les armées des alliés et qu'ils ne veulent par faire tache dans le mouvement patriotique qui gagne le pays.
Jeudi 1er Juillet 1915 La question du travail s'aggrave sérieusement à Halluin et prend une allure inquiétante.
Hier soir à cinq heures un officier de la commandanture nommé Baumann s'est présenté devant le maire et les otages enfermés dans l'usine de Monsieur Loudan. Là il leur a fait une peinture terrible du sort que subirait la ville si la résistance continuait : bombardement, morts de vieillards, femmes et enfants et le reste.
" La volonté du Général a-t-il dit doit être exécutée dut une ville de 15000 habitants en périr " . Voici d'ailleurs le texte de l'affiche portant les ordres du Général et placardé sur les murs de la ville.
Blanc , document perdu.
Devant la gravité du cas la question est mise aux voix. La majorité se prononce pour le travail
Lundi 5 Juillet Combat entre deux avions. Combat vu de la ville.
Mercredi Arrestation de M Ide, horloger, chargé de régler les pendules de la ville ; les horloges en question n'étant pas au dire de la commandanture suffisamment bien réglées.
Jeudi à 1h Grand passage de troupes N° 243 et 133, les unes s'embarquant à la gare, les autres se dirigeant vers Courtrai.
Vendredi Départ du 236. Arrivée du 105.
Mardi Ce soir très violente canonnade. Hier, paraît-il, plusieurs tranchées minées par les alliés ont fait explosion tuant et blessant de nombreux soldats du 126.
L'hôpital regorge de blessés.
Les Allemands construisent un pont pour relier la rue de la poste au grand jardin situé derrière la Lys et dont ils prennent possession.
Mercredi. De nouvelles affiches restreignent presque complètement les passe ports, ne les accordent même plus pour visiter des parents malades et ordonnent que les commerçants d'un même article passent leurs commandes à l'un seul d'entre eux, délégué de tous.
Jeudi Les Allemands inaugurent par une fête leur "Hohenzollerngarten ". Toute la soirée, nous sommes bercés de mélodies qui fort bien exécutées d'ailleurs nous parviennent d'au delà de la Lys.
Vendredi 23 Juillet Explosion d'une tranchée entendue de la ville.
Prix des vivres
        La viande se vend : 4 frs le kg
       le pain bis : 0,50 environ
       les oeufs 0,16 et 0,18 cent
       le savon noir : 1fr 10
       le froment : 1fr 50 quand on en trouve
Tout cela n'est pas excessif comme augmentation et cependant l'on constate un amaigrissement général auquel les soucis et les chagrins contribueraient pour une grande part.
On voit les corps s'affaisser, les cheveux blanchir ! La guerre fait en quelques mois l'oeuvre de plusieurs années.
Samedi On dit que les prisonniers roubaisiens emmenés en Allemagne au sujet de la question ouvrière ont été renvoyés chez eux.
Dimanche Les commerçants refusent presque tous les bons de ville de Menin qu'ils ne peuvent utiliser pour leurs achats.
La situation à ce point de vue devient très difficile , les bons se trouvant discrédités à cause de leur trop grande abondance, dit-on.
Lundi Un avion des alliés ayant dû atterrir entre Halluin et Roncq, les aviateurs se seraient enfuis, détruisant leur appareil et emportant la mitrailleuse.
Roncq est menacé d'une pénitence, paraît-il.
Mardi Geneviève souffrant des yeux doit se présenter chez l'oculiste à Courtrai. Nous allons Anna et moi demander un passe port à la Commandanture . On nous répond qu'il faut remettre nos certificats d'identité et une demande par écrit.
Albert, après six semaines de démarches, obtient un passe-port pour Bruxelles. Toute la famille est en réunion et le charge de commissions. Pensez donc " Il part pour Bruxelles "!
Jeudi 29 Juillet Munies de nos pièces en règle, nous allons à Courtrai. L'oculiste est absent pour toute la journée ce qui ne nous contrarie qu' à moitié car cela nous vaudra un second voyage.
De retour à Menin après une bonne journée nous ne faisons qu'un bond juqu'à la commandanture où le Hauptmann Tranz nous autorise à écrire à l'oculiste pour qu'il nous fixe un jour.
Vendredi 30 juillet L'action de l'artillerie redouble au front. On dit que de nombreux Alsaciens se seraient enfuis dans les rangs des Français : 15 officiers seraient devenus fous.
Samedi Un avion du champ d'aviation manque à l'appel aujourd'hui. Cette nuit forte canonnade, plusieurs tranchées seraient en feu, les habitants de la campagne entendent les cris du champ de bataille.
Dimanche 1er Août Hier soir la canonnade était très violente et ininterrompue, elle se prolonge durant la nuit et atteint vers 1 heure du matin une telle intensité que les paysans songent à s'enfuir.
On dit que c'est une contre attaque des alliés en réponse à la dernière attaque allemande.
L'hôpital regorge de blessés et il y en a jusque dans les caves.
Albert rentre de Bruxelles . Notre logeur, Otto Grimm, quitte la maison après un séjour de six semaines .
Mardi L'action d'artillerie se poursuit très violente au front.
Jeudi Arrivée d'un nouvel officier.
Les Allemands annoncent la prise de Varsovie et font sonner toutes les cloches à Halluin.
Vendredi Voyage à Tourcoing grâce à un laisser passer obtenu à la commandanture d'Halluin.
Lundi Forte canonnade . Arrivée de nombreux blessés. Les alliés auraient repris le "Hooghe".
Mardi A 11h 1/2 du soir, un officier du 126 vient chercher quartier pour une nuit.
Jeudi Le lieutenant du 126 vient loger chez nous.
Vendredi Cette nuit alors que tout était calme, la maison est violemment secouée.
Les Allemands embarquent ces jours beaucoup de bétail à destination de l'Allemagne, dit-on .
Samedi 14 Août Une analyse du pain démontre qu'il contient 90 % du son.
Quel est le falsificateur ?
L'affaire serait soumise au parquet de Courtrai.
Mardi Une petite note sur notre locataire actuel. Il en est digne !
C'est un ivrogne invétéré qui s'enivre régulièrement tous les deux jours, une journée de repos étant nécessaire pour se mettre en état de recommencer.
L'autre matin, rentrant complètement "gris" il fait irruption tout à coup dans la salle d'enfants où je déjeunais en compagnie d'Anna qui entame une conversation des plus______ (blanc)
Nous lui tenons tête de notre mieux lorsque notre ivrogne enhardi se permet de m'appeler "Chérie".
Je lui lance un regard furibond si furieux qu'il se confond en excuses et nous réussissons à l'éconduire.
Mais l'Allemand qui décidément se sent d'humeur gaie descend à la cuisine espérant y trouver du monde.
Les bonnes à son approche s'enfuient à la cave le laissant en tête à tête avec petite thérèse (18 mois) et voilà notre ivrogne qui d'ailleurs aime les enfants en conversation avec le bébé,
"Papa, papa "- répond Théréson nullement effrayée
La causerie sur ce ton ne peut s'éterniser et désespérant de trouver un interlocuteur le disciple de Bacchus regagne enfin sa chambre au grand soulagement de toute la maisonnée.
Mercredi 18 On vient faire l'inventaire des cuivres et des courroies de l'usine de Menin.
La forte commotion ressentie l'autre nuit aurait eu pour cause l'explosion d'un parc de munitions à Lomme.
Dimanche Départ de notre ivrogne qui toujours très aimable vient nous faire ses adieux et nous promet une visite à son retour en ville. Grand merci !
Lundi Voyage à Courtrai en compagnie de Geneviève et d'Anna.
Mercredi 25 Août Voici ce que l'on raconte au sujet de Comines.
La ville ayant été bombardée, les habitants peuvent évacuer et ceux qui restent doivent à partir de samedi se préparer à rester dans les caves et se munir de drapeaux blancs.
On ajoute même , ce qui paraît peu vraisemblable, que le Commandant de place et 3 officiers se seraient enfuis dans les rangs des alliés.
Jeudi 26 Trois bombes sont tombées sur la gare d'Halluin et les environs cette nuit vers 11 heures tuant trois Allemands et en blessant sept.
Dimanche 29 Un ordre est communiqué à l'ambulance lui enjoignant d'avoir à quitter la ville demain soir.
Qu'est-ce que cela signifie ?
Est-ce le début d'une retraite ?
Lundi 30 Août Départ de l'ambulance.
On dit que 82 obus sont tombés sur Comines ces jours derniers .
Mercredi 1er septembre On annonce le départ des ambulances de Roulers , Dhoncourt, etc...
Les soldats allemands racontent qu'ils ont entendu des sonneries de cloches de l'autre côté du front. En quel honneur ?
Une bombe provenant d'un avion tombe sur des soldats qui s'exerçaient et en tue.
Un soldat de la marine vient occuper la chambre à loger .
Vendredi 3 septembre La ville est menacée d'une punition. Le mot "pas" ayant été effacé sur les affiches portant le discours du Kaiser qui déclare n'avoir pas voulu la guerre.
Samedi Deux agents de la police secrète perquisitionnent chez Albert et l'arrêtent pour une affaire de lettres.
Lundi 6 septembre Perquisitions chez les membres du clergé et dans les maisons situées derrière l'église.
Mardi Perquisitions chez Mme Vandaele, au couvent St Georges.
Jeudi 9 Sept Jean est averti par une carte qu'il doit se présenter dimanche aux Allemands . Pourquoi ?
Mr Pardoen accompagné du Hauptmann Trantz part pour Bruxelles afin d'y régler la question des finances de la ville toujours en très mauvaise posture.
Vendredi Nouvelles de notre officier ivrogne.
Il a beaucoup souffert dans les tranchées, nous dit-on,.... souffert de la soif.
Seules d'énormes rations de cafés pouvaient calmer tant soit peu les tourments de ce gosier altéré.
Je sollicite aujourd'hui mais en vain un nouveau passe port pour Tourcoing.
Samedi 11 750 hommes du 105 ont été forcés de se rendre aux alliés parce que, vu leur position fâcheuse, on ne savait plus les ravitailler.
Voici du moins ce qui se raconte en ville.
Dimanche 12 Nous ne serons pas punis pour notre audace de l'autre jour. Mr Pardoen ayant écrit une lettre d'excuse à la commandanture.
Inutile de dire que les commentaires vont leur train.
Jean doit faire acte de présence à la revue des hommes de la ville organisée chaque dimanche par l'Allemand, ceci afin de prévenir les évasions possibles, j'imagine.
Lundi Un ss.off. du 126 est arrivé prendre quartier hier soir à neuf heures, il se nomme Hemmel et semble très poli.
Mardi 14 septembre Albert est appelé à la Commandanture au sujet de son affaire de lettres. Ils ont signé un rapport.
Mercredi 15 N'ayant pas perdu courage après un premier refus, je renouvelle ma demande à la Commandanture d'Halluin qui m'accorde enfin un laisser-passer pour samedi.
Jeudi Aujourd'hui se termine la belle et bonne retraite prêchée au Cénacle par le P. Remy.
Samedi 18 Voyage à Tourcoing. Mais hélas, les nouvelles ne sont pas gaies : la mort de Pierre Cordonnier, tué l'an dernier à la bataille de la Marne et qui vient seulement d'être annoncée à sa femme, nous cause une triste impression et l'on dit que le sort de Louise, la femme veuve, est celui de tant de jeunes femmes de Lille !.
Au retour ayant prolongé outre mesure nos bonnes causeries, je manque le dernier tram pour Menin, heureusement la carriole d'un marchand de pommes de terre se trouve bien à point pour nous ramener à la maison, Guite et moi.
Dimanche Comines aurait été à nouveau bombardée.
Toute la nuit, nous entendons le crépitement des mitrailleuses ou des fusils qui nous semble plus rapproché.
Vers 9 heures du matin, violente canonnade qui ébranle la maison et même notre lit.
Lundi Notre ss.off. est nommé officier et subit en quelques jours une amusante métamorphose. Le tailleur, le bottier, viennent tour à tour y concourir. Le simple et fané "feldwebel" se mue avec brio en un pimpant lieutenant.
Mercredi Albert comparaît aujourd'hui devant un conseil de guerre. Il est accusé d'avoir expédié de Bruxelles par voie clandestine des lettres d'affaires
5000 m d'amende au compte de l'usine où nous entrons pour un tiers.
Jeudi Conversation entre le lieutenant et Jean , conversation en anglais. Cet élégant gentleman serait d'après ses dires un futur religieux, ce qu'il y a de certain, c'est qu'un chapelet et des livres de prières traînent sur sa table à écrire.
Il s'informe près de Jean comment se procurer les Confessions de St Augustin. On apprend que quatre Méninois de Lille ont été fusillés. Les officiers de "l'Intendantur" installés chez mes beaux parents réclament de plus larges tuyaux pour l'eau des WC.
Les tuyaux existant ne suffisent plus à leurs besoins.
Samedi 25 septembre Toute la nuit, le canon gronde avec une telle intensité que les Méninois ne peuvent fermer l'oeil.
Vers 3h 1/2, le feu roulant est à son apogée, l'alarme est donnée aux troupes , notre officier doit partir précipitamment, laissant ici son bagage, il semble très agité mais n'a cependant garde d'oublier ses récentes emplettes.
Un billet laissé dans sa chambre prie les bonnes de " purifier s'il vous plaît ses boutes ", ses nouvelles boutes . Chez Juliette et Henri, une petite fille vient au monde à 4h moins 20 ce matin saluée par cette peu commune salve d'artillerie
23 prisonniers anglais sont amenés à la prison du marché, parmi eux se trouve un blessé.
Depuis plusieurs jours déjà les trams amènent des soldats blessés,; aujourd'hui on compte 14 trams. Les alliés disent que les Allemands tentent une percée. Ils ont fait quatre attaques et seraient allés jusqu'à la troisième tranchée.
Dimanche On dit que les nouvelles sont bonnes. Les Français auraient fait une avance en Argonne et à Lens. Les Russes reprennent l'offensive.
Tant mieux, mais qu'ils se hâtent !
Lundi Un train composé de 80 wagons passe en gare chargé de blessés.
Mardi 1500 hommes du 241 venant d'Inghem arrivent en ville.
Un officier loge chez nous
Une bombe tombe à 50mètres des meules de blé, place de la Gare, mais sans faire explosion.
Jeudi 30 septembre Ce matin vers 2 heures on carillonne à la porte. Alarme !
2 prisonniers anglais. Plusieurs avions.

Vendredi 1er octobre

Ce matin à 2 heures, nouvelle sonnerie, 4 soldats viennent enlever le bagage de l’officier.

Le 241 serait parti en chemin de fer.

Ces jours derniers deux voitures de trams chargées de débris humains ont été amenées au Koelbus pour une inhumation . Quelle horrible chose que la guerre ! Peut on songer,  sans penser que ces malheureux tout allemands qu'ils soient sont des époux et des fils !

Arrivée d’un ss off au 105.

Samedi 2

Le ss off du 105 se nomme Balve . C’est un chanteur d’opéra à Leipzig ce qui nous vaut de temps en temps l’audition d’un brillant morceau d’audition à laquelle nous ne sommes pas conviés, bien entendu.

Mais une voix d’opéra ! Cela se moque bien des portes fermées.

Jeudi 7 octobre

Balve est nommé officier. Lui aussi se lance dans les élégances !

Il aime beaucoup les enfants avec lesquels il joue parfois volontiers. Il lie conversation dans un français des plus précaires et quand nous le rencontrons dans la rue , ce sont des saluts… et des sourires !…. comme si l’on était amis.

Vendredi

Revue de chevaux de la ville qui sont presque tous marqués.

Emprisonnement  de 20 fermiers pour avoir livré du bétail sans autorisation allemande.

Samedi 9

Notre prison se resserre.

Nous ne pouvons plus quitter le centre de la ville , ni aller à Halluin. Impossible d’atteindre même les fermes situées au delà de l’agglomération.

Tous ceux qui habitent au delà des barrières de chemin de fer doivent être munis de laisser passer.

Tout est barricadé ou surveillé.

Jeudi 14

On bombarde Comines.

Les Allemands aménagent une installation pour leurs soldats dans le couvent des religieuses paulines.

Samedi 16

Voici le résumé du régime sous lequel nous vivons.

Impossible de quitter le centre de la ville sans passe-port qu’on obtient qu’à grand peine ou pas du tout le plus souvent.

Aucun journal sauf les journaux allemands ou deux feuilles de Gand mais censurées et combien !

Aucune lettre , aucun billet sauf de rares exceptions.

Nous sommes isolés du reste du monde. Nos maisons converties en « quartier fur Offizier « , certaines presque envahies.

Des mesures prohibitives si nombreuses que les délinquants sont légions et qu’on a du aménager de nouvelles prisons.

Sans cesse sous le coup d’une perquisition d’une arrestation , d’une réquisition.

La vie de plus en plus chère. Certaines denrées atteignent des prix fous. Et pour finir enfin la douce perspective d’un bombardement.

Lundi 18 octobre

Les Allemands viennent visiter l’usine de Menin et parlent d’y loger 1000 soldats.

Nous devons déclarer par lettre à la Commandanture ce que nous possédons comme appareil photographique, plaques et installation.

Nouvelle visite pour s’informer du nombre de personnes et de lits de chaque maison.

Le tram dernier moyen de locomotion est interdit aux civils. Il ne nous reste que les rares et misérables équipages que l’Allemand a bien voulu nous laisser.

Mardi

Cette après  dînée et que sans que rien ne l’ait fait prévoir, les Méninois ébahis voient passer dans leur rue le Kaiser et sa suite accompagnés du Général Von  Crunneling, tous en voiture.

 Mercredi 20

Nouvelle affiche annonçant que la ration de pommes de terre sera dorénavant de 200 gr par personne . Grand émoi en ville.

Jeudi 21

Il est question de nous rationner pour le lait.

Arrestation des demoiselles Von Thournout chez qui l’on aurait trouvé un revolver dans la poche d’un vieux pardessus.

Vendredi 22

Karl de la Commandanture vient annoncer à Albert qu’on va réquisitionner la scie de l’usine.

Ce soir le portrait de l’impératrice d’Allemagne apparaît à l’étalage du marchand de journaux allemands entouré de feuillage et de bougies allumées.

Stupéfaction des badauds qui croient au décès de la souveraine.

La question des pommes de terre est à l’ordre du jour. Que faire de nos provisions ?

On imagine de les mettre sous la charpente du toit au dessus de nos chambres. Hélas nous avions compté sans les rats. Ces intéressants rongeurs ravis d’une telle aubaine se livrent au dessus de nos têtes à de vrais jeux de boules. On tient conseil et Julien les loge dans un grand panier suspendu aux poutres. Vaine précaution…. Le tapage nocturne reprend de plus belle si bien que de guerre lasse , on déménage à nouveau les précieuses tubercules.

Samedi

Des perquis soldats viennent perquisitionner chez nous au grenier et à la cave pour s’assurer que nous n’avons plus de pigeons.

Passage de troupes d’Halluin ; 17ème—18ème—24ème aspirants officiers qui vont s’embarquer à la gare. Halluin est presque sans soldats . Ce n’est pas comme nous.

Arrivée de 500 prisonniers russes pour les travaux du champ de bataille.

Dimanche 24 octobre

On dit que les nouvelles du front russe et du front italien sont très bonnes. Ces communiqués ! comme passionnément on les commente ! Chacun jugeant la situation d’après son tempérament ce qui fait que les Méninois se divisant en deux camps : optimistes et pessimistes.

Jean et moi, nous rangeons parmi les premiers, qui sont d’ailleurs les plus nombreux.

Lundi

Albert est appelé chez le juge pour s’entendre signifier qu’il doit avoir payé son amende avant le 4 Novembre.

Mardi 26 Octobre

On apprend qu’un schrapnell étant tombé à Gheluveld sur une baraque dans laquelle se trouvaient plusieurs officiers  en a tué quelques uns dont un major.

Départ du Commandant de place Schmidt qui emporte un joli souvenir de son séjour ici.

Ayant réquisitionné puisque cela se nomme ainsi en style de guerre de belles poutres en chêne de l’usine Plaideau, il s’est fait faire un beau mobilier de salle à manger.

Tout cela aux frais de la princesse, la pauvre princesse ruinée qu’est la ville de Menin.

Je vais demander un passe port à Tourcoing. Refusé !

Mercredi 27

De fortes détonations se font entendre ce soir. On dit que ce sont des obus anglais, de grands obus de 0.75 cent qui détruisent les baraquements allemands.

Rien aujourd’hui une visite peu banale. Visite de remerciement du lieutenant Hemmel pour l’hospitalité reçue.

              Prix des vivres à Lille :

                        Beurre :10 frs

                        Viande : 9 frs

                         Pommes de terre : 0.45  le kg

     

Dimanche 31 Octobre

Un sergent de ville d’Halluin vient demander de la part de l’autorité allemande la quantité de papier contenue dans l’usine.

Jeudi 4 novembre

Départ de Balve.

Arrivée en gare d’un wagon d’attrape rats destinés aux tranchées.

Lundi 8 novembre

Une forte canonnade depuis plusieurs jours. Les alliés bombarderaient à nouveau Comines

Mercredi 10

Arrivée d’un officier du 172ème

Jeudi

Les Allemands perdent 2 avions.

La commandanture annonce que l’on doit accepter les bons de ville à la même valeur que l’argent allemand. Ordre qui ne changera pas la situation car personne ne voudra s’y conformer.

Plusieurs personnes , des commerçants ayant été dénoncées par leurs clients doivent payer une amende.

Vendredi.

Grand concert à  l’église.

L’autorité allemande finit par trouver excessifs les 50000 à 60 000 payés régulièrement par la ville et sur son ordre aux ouvriers. Elle propose de réduire les frais de moitié.

Samedi

Après des semaines de démarches répétées, Albert obtient à nouveau un laisser-passer pour Bruxelles

Dimanche 14

Les Allemands prennent du papier et des couleurs à l’usine à Halluin mais en petite quantité.

Mardi

Nouvelle affiche menaçant de peines pouvant aller jusqu’à 2 ans de prison tous ceux qui feraient tort aux Allemands ou aux Belges germanophiles , ceux qui dresseraient des listes noires par exemple.

Les …..(blanc)

Comines à nouveau bombardée. 7 blessés amenés à Menin et 13 morts.

Jeudi

Albert revient de voyage aujourd’hui.

Il est tout heureux de sa petite fugue . Il a reçu de l’autorité allemande la permission d’exporter les produits de l’usine en Hollande puis il a revu les frères et sœurs de là –bas puis enfin il a respiré durant quelques jours un air un peu moins lourd que l’air d’oppression où l’on étouffe ici. La vie dans le gouvernement général est infiniment plus facile qu’en terrain d’opérations.

Vendredi

Albert qui avait obtenu un sursis pour le paiement de son amende avertit le juge qu’il n’a pas trouvé à Bruxelles l’argent nécessaire. Les amendes pour lettres ne sont punies là-bas que de 40 à 50 marks. Or les lettres d’Albert avaient été envoyées de Bruxelles

Dimanche

On nous apporte des feuilles sur lesquelles nous devons déclarer tous les objets de cuivre que nous possédons.

Les fausses déclarations entraîneront 1000 m  d’amende et cependant chacun triche à mieux-mieux.

Lundi 22 novembre

On signale encore un officier allemand devenu fou à Halluin.

Une nouvelle affiche déclare que le contenu des usines d’Halluin ne peut en sortir sans l’autorisation de la Commandanture.

Mardi

On vient demander combien nous avons mangé de pomme de terre depuis____

 Réponse ; 150 kg

Mercredi

Passage de troupes 210ème et 64ème débarquant à la gare venant dit-on de Cambrai et se dirigeant vers Halluin.

Samedi

Jean sollicite un passe port pour Halluin. Il devait se présenter hier à la Commandanture. Julien qui le remplaçait  a été remis à ce matin puis de ce matin à ce soir et pour finir «  refusé ».

Or les séances d’attente se prolongent parfois d’une heure et le thermomètre marque 5 degrés sous zéro.

Alarme pour le 172ème. L’ordonnance de l’officier est un lorrain de Thionville et parle français avec un agréable accent .

Pas germanophile pour deux sous !

Lundi 30 novembre

Comines et Werwicq ont été à nouveau et à plusieurs reprises bombardées.

Jeudi 2 décembre

Nous assistons du jardin à un combat entre 3 avions allemands et un anglais. Le monoplan allemand descend précipitamment.

Dimanche 5 décembre

Les affiches placardées à Halluin invitent les personnes qui le désirent à se faire inscrire pour être dirigées sur la France par la Suisse en chemin de fer.

Depuis une semaine nos maisons reçoivent de nombreux chocs.

Mardi 7 décembre

 Des prisonniers russes travaillant près du front se seraient évadés. Le sort de ces malheureux est affreux. Les Méninois s’ingénient à leur faire parvenir quelques vivres en cachette. Ils emploient des vraies ruses d’apaches.

Mercredi 8 décembre

On raconte que les Allemands ont tenté la semaine dernière une attaque pour Ypres. L’affaire devait se conclure en ¼ d’heure mais prise de flanc par les alliés, l’offensive échoue. Voici du moins ce que les officiers rapportent

Jeudi 9

Le change du papier monnaie est de 28%. On en a trop fait, personne n’en veut.

Samedi

Nous assistons de nos fenêtres à une revue du régiment  de retour d’une marche. Comme toujours le pas de parade amuse les Méninois. Pas un bambin qui ne s’exerce à jeter ses petites jambes de ce mouvement d’automate si curieux qui les fait ressembler à de vrais pantins.

Albert paie aujourd’hui son amende . On peut enlever une certaine quantité de matières premières, peu de chose malheureusement de l’usine d’Halluin.

Lundi 13 Décembre

Après trois semaines de démarches, Jean obtient un passe port pour Courtrai. La voiture qui doit le ramener manquant de moyen d’éclairage, il s’offre le plaisir de subtiliser une bougie à un break d’officiers et ce au nez et à la barbe du conducteur. Tous les voyageurs sont fouillés au retour.

Mardi 15

Il se confirme que le XVème Corps d’armée quitterait la ville.

Une fois de plus la Commandanture vient s’informer du nombre d’officiers et de lits pour officiers de la maison, puis un nouveau papier collé à la porte informe les passants que le dit quartier renferme une chambre à l’usage de l’armée occupante.

Jeudi 16

Les enfants âgés de plus de 6 ans doivent dorénavant être munis d’une pièce d’identité. Guiguite aura la sienne.

Raison : l’unique, l’universelle, celle qui sert de prétexte à toutes les rigueurs : l’espionnage.

Mercredi 22

Deux sous off , ayant occupé la nuit passée une chambre trouve ce matin le lit envahi par les poux.

La Commandanture avertie envoie le service de désinfection ; Sont en mesure d’exterminer rapidement ces « indésirables « .

Vendredi

Les Méninois constatent depuis quelques temps une notable diminution dans l’ordinaire des officiers. Autrefois disaient-ils, songeant aux bonnes ripailles d’antan, «  ils coupaient un bœuf en quatre, maintenant ils coupent un hareng en deux ».

Tout exagéré que soit le propos, il renferme tout  de même une petite part de vérité.

Samedi 25

Quatre obus sont tombés entre Werwicq et Menin.

Lundi 27

Le départ du XV Corps s’effectue vers Audenarde. Notre officier nous quitte emportant nos draps de lits.

Un ss.off vient loger pour une nuit.

Emprisonnement de Mr Bernaert.

Mardi 28

Grand passage de troupes, munitions, canons, chariots toute la journée.

Hier soir, grosse émotion !

Nous venons de gagner notre chambre lorsqu’une très violente secousse ébranle tout à coup la maison, il semble que la fenêtre doive voler en éclats. L’idée d’un bombardement nous vient aussitôt à l’esprit et tout le monde fuit à la cave.

La détonation n’étant suivie d’aucune autre, la frayeur heureusement s’apaise vite.

Ce matin on apprend qu’un dépôt de 34 000 grenades a fait explosion à Comines tuant 300 soldats

Mercredi

Je vais à la Commandanture réclamer mes draps que l’ordonnance a par erreur emballé au lieu de ceux de l’officier, de misérables draps usés.

Aujourd’hui vraie pluie de bombes. Plusieurs à la gare, chaussée de Moorscele, porte de Bruges, etc

Huit avions alliés survolent la ville et toute la journée le défilé des troupes continue. Arrivée du 125, départ du 126 du 80 avec chariots , canons.

Jeudi 30 Décembre

Le XIII Corps remplace le XVème.

On emballe tout le matériel de bureau chez mes beaux parents. Les nouveaux bureaux arrivent .

Vendredi

31 Décembre

 Ce matin, il était environ sept heures, je me disposais à me lever lorsqu’une terrible détonation bien plus forte que celle de mardi vient à nouveau nous remplir d’effroi.

Frappés de stupeur, nous restons un instant sans faire un mouvement . Jean s’attend à recevoir le plafond sur la tête, moi entendant à la suite du coup une sorte de crépitement à voir les flammes d’un incendie jaillir dans la chambre.

Passé ce premier émoi, nous ne songeons qu’à fuir à la cave emportant les enfants. Partout nous marchons sur les débris de verre. Les lanterneaux de la cuisine et du corridor  sont à terre, le vitrail de la salle à manger est en pièces, les fenêtres de la salle d’enfants et d’autres chambres ont des vitres brisées.

Jean Marie dont la chambre à coucher n’a pas un carreau intact descend tranquillement en criant «  Kent Kent «  et dans la rue, les trottoirs sont couverts de débris de glace.

Cette fois c’est le dépôt de munitions situé à Halluin à 2km ½ d’ici qui a sauté. On annonce le départ des bureaux à peine installés. La peur des bombes probablement.

Départ du lazaret de l’hôpital.

Départ des généraux.