Maurras aux premiers Jeux Olympiques



Charles Maurras en Garnier-Flammarion.
Comme Karl Marx ! A deux années près, c'était le cinquantième anniversaire de sa mort. Il avait été libéré de prison pour raison médicale. Comme Maurice Papon ! Mais il n'en a profité que huit mois. D'avril à novembre 1952.

En 1896, Charles Maurras n'est pas encore monarchiste. Il n'est même pas antisémite. Et encore moins anticommuniste, le communisme étant dans les limbes. Il a perdu son père à 6 ans et l'ouïe à 14. A 16 ans, il tente de se suicider par pendaison, mais la corde se casse. Il sombrera alors dans la lecture, compagne fidèle des grands brûlés de l'adolescence. Il lira tout. Ça l'occupe, et puis ça le détend. En 1892, il est engagé à La Gazette de France, journal fondé le 30 mai 1631 par Théophraste Renaudot. Il a 28 ans quand Gustave Janicot, le directeur de La Gazette, l'envoie à Athènes, où ont lieu les nouveaux Jeux olympiques depuis leur abolition en 393 après Jésus-Christ par un décret de l'empereur Théodose. On est en avril 1896. C'est la première fois que Charles se rend en Grèce. Il n'était du reste jamais sorti de son pays ! J'ai même rencontré un Maurras heureux.

« Lettres des Jeux olympiques » comporte six missives adressées - l'une du bateau, les cinq autres de la capitale grecque - à Janicot. En ce temps-là, les reportages étaient acheminés dans les journaux par courrier, du coup les journalistes avaient tendance à les écrire sous la forme épistolaire. Nerval fait la même chose dans « Voyage en Orient ». Les lettres de Maurras sont pleines de fraîcheur et de noblesse. Insouciantes : l'affaire Dreyfus ne commencera qu'en 1897. On dirait du Michel Déon. Je vous écris de l'Acropole.

Dans la première « Lettre », une confirmation : avril, c'est trop tôt pour aller en Grèce. « Il faisait presque froid, il faisait un temps aigre, mêlé de pluie et de soleil, quand nous sommes entrés dans les eaux de l'Attique. » La supériorité intellectuelle des Grecs de 1896 sur ceux de 2004 : les premiers ont eu l'intelligence de ne pas mettre les JO en été, quand Athènes et l'Attique sont une fournaise. Maurras ne peut retenir, le lendemain de son arrivée, une poussée d'antigermanisme : « Mais j'ai eu l'ennui d'assister, pour mon début, à trois victoires de gymnastes prussiens. » Il faut dire que l'Alsace et la Lorraine, les Prussiens les ont eues en 1870 - et ils les gardent ! Evidemment, Maurras a raté l'inauguration des JO comme il ratera, trente-huit ans plus tard, la manifestation antiparlementaire du 6 février 1934 sur le pont de la Concorde. Pourtant, il habitait à côté. Rue de Bourgogne, juste en face de chez moi. Il avait deux appartements. Il a acheté le second quand il n'a plus eu de place pour ses livres dans le premier !

Maurras ne s'intéresse guère au sport, trop anglo-saxon à son goût. Courir, c'est courir vers Londres ! « Même aujourd'hui, quand les Anglo-Saxons sont les maîtres partout, personne ne mesure quelle est leur puissance réelle. » Il assiste quand même à l'arrivée du marathon. La course mythique est remportée par un Grec : Spiridon LouØs. « Toutes les cigales attiques élèvent une sèche et perçante chanson, et, pendant que la foule chante, le roi salue. » Lors de la cérémonie de clôture, le futur chef de l'Action française s'intéresse surtout aux oliviers : « Ils sont beaucoup plus élancés que ceux de ma Provence occidentale, mais du même feuillage subtil et pur qui fait que la lumière se mélange intimement à leur ombre grise. » Du Michel Déon, je vous dis

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